Protéger un manuscrit du plagiat

   JE PLAGIE DONC JE SUIS

Mélanie Gaudry  

Mélanie Gaudry est l’autrice de l’ouvrage Narcisse publié aux éditions du Lys bleu. Elle partage avec editions-actu sa vision du plagiat. « Je plagie donc je suis » est le fruit de ses recherches. Entre confrontation et inspiration, qu’est-ce que le plagiat et comment protéger son manuscrit du plagiat ?

Le plagiat découle de l’admiration pour un écrivain

Qu’on se le dise, il y a trois manières d’admirer un écrivain :

  • L’une qui fait de celui qui idolâtre l’égal de son modèle qui consiste à assimiler ce par quoi il est grand,
  • L’autre qu’est le pastiche, visant à le singer dans ce qui fait sa singularité ;
  • Enfin la plus paresseuse, le voler pour s’attribuer le fruit de son travail, c’est-à-dire le plagiat.

Les Pasticheurs

Pasticheurs et plagiaires possèdent un point commun non négligeable : celui d’être d’excellents lecteurs.

En effet, tous deux sont davantage capables de reconnaitre la qualité d’une œuvre à s’approprier que de fournir les efforts nécessaires à la production d’un travail de même envergure. Aussi, doit-on leur concéder un don certain pour juger la valeur d’un écrit, semblable à celui que gagnent par l’enseignement et l’expérience, critiques littéraires et autres universitaires.

L’avènement de la réécriture de textes anciens, une reconnaissance liée au plagiat

Si Marcel Proust a su rendre ses lettres de noblesse au pastiche en réinventant le genre grâce à l’affaire Lemoine en 1919, le plagiat, quant à lui, n’a pas toujours été la bête noire de la littérature. En outre, ce dernier dont l’étymologie trahit ses origines latines « plagio, as, are, avi, atum » se traduisant par « déposséder par ruse ou par fraude » dû attendre le XVII -ème siècle et l’avènement de la réécriture de textes anciens pour être enfin reconnu comme tel.  

Il faut dire que sous Louis XIV, la création littéraire dans sa dimension romanesque ne bénéficiait pas de la reconnaissance dont elle jouit actuellement.

L’emprunt aux Anciens témoignait d’une culture solide et s’avérait souvent gage de succès dans les salons où se construisaient la renommée de ceux que nous considérons désormais comme des génies de la littérature française.

Sortaient du lot les auteurs prompts à s’approprier mythes et textes antiques en sachant les adapter aux normes très codifiées de leur époque.

C’est dans cet esprit que l’Eneide virgilienne connut plusieurs vies en devenant au Moyen-Age le célèbre Roman d’Enéas avant d’inspirer Dante et sa Divine Comédie et d’être enfin parodiée en 1648 par l’italien Scarron dans le mémorable Virgile Travesti. C’est également de cette manière que Jean de La Fontaine obtint les faveurs de Madame et des courtisanes en adaptant les fables d’Esope aux tracas de Versailles.

Mais c’est surtout l’historiographe Racine qui réalisa la plus technique des performances en transposant des pièces mythiques du théâtre antique aux exigences du théâtre classique. La princesse Iphigénie, pour ne citer qu’elle, sacrifiée par son père et par Euripide en -405 av J-C rencontra un destin plus favorable en 1674, sauvée in extremis par les dieux et par Racine comme l’exigeait la bienséance qui suivit l’ère baroque.

Où est la frontière entre plagiat et réécriture ?

Mais où se situe exactement la frontière entre pastiche et emprunt, plagiat et réécriture, contrefaçon et inspiration ?

Si l’admiration est toujours au centre de la volonté de s’attribuer le travail d’autrui, en s’en inspirant ou en le dérobant, ne peut-on pas y voir un désir latent de dominer l’autre, non pas en espérant le surpasser mais en prenant le contrôle de son œuvre, œuvre qui n’est, in facto, que la transposition matérielle de son intériorité ?

Le faussaire ne cherche-t-il pas à combler un déficit créatif, intellectuel, artistique en fusionnant avec le fruit de son admiration jusqu’alors refoulée pour enfin devenir cet autre dont il fantasme d’acquérir la reconnaissance mais aussi la psyché ? 

En cela, dans le cadre d’un plagiaire structurel dont la personnalité se fonde sur l’amalgame de multiples usurpations d’identités et dont le passage à l’acte, le rapt de l’œuvre d’autrui, n’est qu’un symptôme parmi d’autres de la dépersonnalisation dont il est l’objet, on retrouve certaines caractéristiques propres aux manipulateurs pervers narcissiques qui volent les qualités morales, physiques et / ou intellectuelles de leurs victimes pour se les octroyer tout en aspirant à la destruction de ces dernières.

A la différence que le narcissique pervers, se considérant comme un être supérieur ne saurait se rabaisser à une telle pratique car elle signifierait reconnaitre qu’autrui le surpasserait dans la matière, chose qu’il ne saurait admettre au risque de l’effondrement de sa structure interne.

L’exemple de Bel-Ami, Maupassant

 Le personnage crée par Maupassant, George Duroy, plus connu sous le surnom de Bel-Ami, rend parfaitement hommage à cette personnalité complexe à mi-chemin entre le MPN et le mythomane, escroc de la pensée mais dont la confiance en soi se révèle inexistante malgré les apparences de dandy avide de mondanités.

Enviant la vie professionnelle et familiale de son ami Forestier, journaliste reconnu, George va d’abord plagier ses articles avant d’épouser sa femme lorsqu’il apprendra qu’elle en est la véritable auteure. Bel-Ami devient alors Forestier dont il usurpe fallacieusement l’existence et qui finira, en mourant, par céder littéralement la place à celui qui, comme Rastignac avant lui, gravira insidieusement une à une les marches de la société.

La plagiat de nos jours

Aujourd’hui, plagiats et micro-plagiats (multiples plagiats provenant de sources différentes compilés pour berner lecteurs et juges) sont sanctionnées par des poursuites pénales ou civiles que ce soit dans le domaine littéraire, journalistique ou encore universitaire.

Pourtant, il s’agit encore d’une notion juridiquement floue. Outre le fait qu’un soupçon de plagiat peut être jugé même s’il n’y a pas de plainte de la part de la victime présumée -par simple signalement, chose qui ouvre la porte à vengeances et actes de malveillance – les logiciels permettant de détecter le plagiat sont faillibles puisqu’informatisés.

N’est-il donc pas rare que le pourcentage d’emprunt soupçonné varie cruellement d’un programme à un autre, ternissant au passage l’intégrité et la réputation d’un innocent. Par ailleurs, la signature d’une clause de confidentialité ou de discrétion avec une durée effective dans le cadre d’un travail en co-écriture apporte souvent l’immunité au plagiaire.

Se protéger du plagiat, protéger son manuscrit

Prouver que ses écrits ont bel et bien été dérobés ne se révèle pas non plus être une entreprise des plus aisées. La notion d’antériorité étant, bien souvent, la seule à pouvoir attester de la contrefaçon, notons ici les principaux moyens pour se protéger du plagiat, et protéger son manuscrit :

  • Le dépôt chez un huissier ou un notaire, parfois peu pratique en raison de la lenteur de la prise de rendez-vous, s’avère une option à privilégier.
  • Adhérer à des organismes spécialisés tel que la société des auteurs et compositeurs dramatiques dite SACD qui, créée par Beaumarchais, est la plus ancienne des sociétés de gestion des droits d’auteurs, ou encore le syndicat national des auteurs et des compositeursle SNAC qui propose de déposer son œuvre en échange d’une cotisation ; la SGDL, société des gens de lettres mais aussi la maison des scénaristes pour les auteurs de longs, moyens ou courts-métrages tournés ou non. 

Ceux-ci proposent de déposer des manuscrits lesquels obtiennent un numéro de dépôt précédant la date à laquelle il a été effectué.

  • Consulter un avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle afin qu’il définisse le procédé correspondant le mieux à la spécificité de la situation et négocier à vos côtés vos contrats éditoriaux.
  • Pour celles et ceux bénéficiant de peu de moyens, imprimer le dit manuscrit en se l’envoyant à soi-même sans ouvrir l’enveloppe servira à attester de la date de production de l’ouvrage. Le cachet de la poste faisant foi. En revanche, contrairement à ce que préconisent certains, cette méthode n’est juridiquement pas applicable par courriel.

Ajoutons qu’il convient de toujours faire signer une clause de confidentialité dûment rédigée par votre avocat à quiconque ayant une interaction quelconque avec le manuscrit, aussi bien les relecteurs que les correcteurs ou encore les bêta-lecteurs avant la parution définitive de l’ouvrage.

Souvent, lorsque l’antériorité peut être prouvée, ces affaires se règlent à l’amiable par un simple rappel à la loi. Néanmoins, lorsque le faussaire littéraire se refuse à tout compromis, déposer plainte contre le plagiaire sera la seule solution censée.

Plagiaire ou plagié, qui est la victime et qui est le coupable ? Quand on songe au mal-être qui ronge le premier et l’incapacité du second à prouver qu’il s’est fait spolier, nous sommes en droit de nous le demander.

Qui de celui dont on admire le talent au point de désirer le posséder ou de celui qui se sait incapable de fournir les efforts nécessaires pour en atteindre ne serait-ce que la moitié mérite d’endosser le rôle du vaincu de la situation ? Le mystère reste entier.

Une chose est sûre, que vous en soyez réduit à dérober le bien d’autrui pour vous assurer un succès ou que vous voyez votre œuvre injustement détournée, vos destins sont désormais et à jamais liés.

Crédit image : Pixabay

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