Parmi les 321 romans en langue française publiés cette saison, en légère baisse par rapport aux 345 de l’année précédente, voici 5 œuvres de fiction qui suscitent l’enthousiasme en cette rentrée littéraire de 2023.
Chaleur humaine de Serge Joncour aux éditions Albin Michel
On attend toujours avec une grande impatience un nouveau roman de Serge Joncour. On sait qu’en le lisant, on va plonger dans un univers empreint de tendresse et d’humour, en compagnie de personnages qui nous ressemblent un peu, à la fois sages et méthodiques, anxieux et frénétiques, à mi-chemin entre la campagne et la ville, ces brins curieux d’humanité partageant leur pain, leurs peurs et leur humanité.
“Chaleur humaine”, qui fait suite à “Nature humaine”, lauréat du Prix Femina en 2020, poursuit l’histoire d’Alexandre, qui avait repris la ferme familiale du Lot, tandis que ses trois sœurs avaient été happées par la vie citadine. Dans ce deuxième tome, le romancier souhaitait un retour à la campagne, et le Covid, bien que malvenu dans le monde réel, a fourni une toile de fond parfaite pour ses personnages. “Je n’avais plus qu’à glisser mes personnages dans le grand mouvement du réel”, a-t-il confié lors d’une interview dans sa maison vigneronne du Lot.
Ainsi, les trois sœurs, une professeure à Toulouse, une restauratrice à Cahors et une photographe à Paris, se retrouvent chez leur frère éleveur, qui avait été quelque peu négligé. Fort, silencieux, protecteur et efficace, il incarne un véritable cow-boy du Lot, appelé à gérer des crises de nerfs, des trafics et des coups de fusil. Les scènes comiques foisonnent à chaque instant. C’est un vrai régal de western cabécou à savourer avant la fin de l’été.
Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea
Une œuvre romanesque éblouissante signée par Jean-Baptiste Andrea, qui se distingue par un style poétique et habité, ainsi que par des personnages incroyablement attachants. L’histoire se déroule dans le village italien de Pietra d’Alba, où deux enfants se lient d’amitié en raison de leur sensibilité profonde. D’un côté, Mimo, un garçon du peuple de petite taille, placé chez un individu brutal, mais qui aspire à devenir sculpteur. De l’autre, Viola, une jeune fille au teint pâle, membre de la respectée famille Orsini, avec des connexions au Vatican et à l’Italie mussolinienne.
La nuit venue, Viola allume une lampe, et Mimo la rejoint dans le cimetière. Elle y parle aux morts et rêve de s’évader, tandis que lui se plonge dans les livres qu’elle lui prête, s’abreuve de ses paroles et nourrit le rêve de liberté. Ces deux âmes traversent le XXe siècle et l’Italie, depuis le point de départ crucial à Pietra d’Alba, où les destins se tissent et se démêlent, jusqu’aux ateliers et bas-fonds de Rome et de Florence, en passant par les refuges des monastères. Mimo se transforme en un artiste de génie, un faire-valoir pour les Orsini et l’Église, tandis que Viola connaît la chute mais continue de survoler les obstacles.
“Veiller sur elle” est un véritable chef-d’œuvre empreint de grâce, une lueur argentée dans la nuit.
Le grand feu de Léonor de Récondo
Au XVIIIe siècle, à Venise, une jeune fille est confiée à une institution religieuse exceptionnelle, la Pietà, célèbre pour former des chanteuses et musiciennes d’exception. Ilaria grandit dans ce cocon protecteur, en admiration devant les voix d’or qui l’entourent, particulièrement celle de la tendre Bianca, puis elle tisse des liens d’amitié avec Prudenza, la fille d’une famille patricienne qui a le privilège de suivre des cours de chant sans être pensionnaire.
Ilaria découvre le violon, un instrument qui deviendra son âme, et elle vit son premier concert comme un véritable “baptême du feu”, une expérience d’une intensité incroyable, où elle ressent cette connexion profonde avec la musique, la sensation de fusionner, de créer du son ensemble, de remplir l’église de son talent. Cependant, elle ne peut s’empêcher de s’évader par les canaux vénitiens aux côtés de Prudenza. Mais un jour, Cupidon tire sa flèche, et l’amour entre en scène.
Ce roman sensuel et délicat est imprégné d’un romantisme exquis. Léonor de Récondo, violoniste baroque et écrivaine, compose une cantate en l’honneur du chant, de l’amitié et de l’amour pur, de ces moments où le corps et l’âme s’embrasent, où la passion consume tout. La langue de l’auteure rayonne de beauté, et comme elle le dit si bien, “la beauté, certains soirs, désarme la mélancolie”.
Psychopompe d’Amélie Nothomb
Nishio-san, la nourrice japonaise d’Amélie Nothomb, lui racontait un conte traditionnel sur une grue blanche alors qu’elle n’avait que 4 ans. Déchirée du Japon et ballottée au gré des déplacements de son père diplomate, Amélie s’accrocha à cette histoire de l’oiseau et développa une passion profonde pour les créatures ailées. À l’âge de 12 ans, elle se sentait comme un oisillon sans plumes, attaqué par les vagues de la mer, avant de réaliser qu’elle devait “atteindre le statut d’oiseau”, une transformation qui ne se ferait pas sans douleur.
Dans ce récit intime, à la fois bouleversant et empreint de son humour caractéristique, Amélie Nothomb dévoile avec pudeur sa jeunesse, ses émotions et son rapport avec la mort. Elle éclaire les origines et les pratiques de son écriture. De retour à Bruxelles à l’âge de 17 ans, elle se lance frénétiquement dans l’écriture, devenant ainsi “la Pénélope de sa propre résurrection”, risquant chaque matin avec sa plume un envol qui pourrait la conduire à la chute…
Après “Soif” et “Premier sang”, l’écrivaine, telle une psychopompe ailée, dessine dans le ciel le V de la vie des grues du Japon et le M de la mort, du mystère, tout en conservant une élégance littéraire remarquable.
La foudre de Pierric Bailly
Julien, berger dans le Haut-Jura, se trouve sidéré lorsque la nouvelle de l’incarcération de son ami et modèle de jeunesse pour meurtre lui parvient. Tous deux partageaient une profonde passion pour la nature et les animaux. Perturbé par cette révélation, Julien décide de contacter Nadia, la femme de son ami incarcéré, Alexandre. Nadia fait de son mieux pour soutenir son compagnon dans cette épreuve difficile.
Au cœur des montagnes qu’ils chérissent tant, des liens puissants se forment entre la jeune femme vulnérable et le silencieux amoureux de sa vallée, de ses chiens de berger, de ses brebis, lui-même en couple avec une dynamique Héloïse. Bientôt, un choix difficile s’impose à eux…
Cette immersion sensible dans l’esprit d’un homme profondément épris est d’une intensité rare. Pierric Bailly, originaire du Jura, nous offre une magnifique histoire d’amour racontée dans une langue raffinée et fluide.