L’importance de la mise en pages et de la composition typographique

Thomas Savary nous présente le métier de metteur en page pour l’édition littéraire

La mise en pages des romans ou essais est souvent négligée par les auteurs, mais aussi — plus grave — par de nombreux éditeurs. Concevoir un beau livre, un magazine, on s’en doute, voilà qui demande compétences et savoir-faire. Quoi de plus simple, en revanche, que de mettre en pages un roman ? Définir les dimensions de la page et les marges, choisir et dimensionner la police… et c’est à peu près tout, non ?

Bien sûr, il n’en est rien. Il existe par exemple quantité de défauts bien plus graves que les fameuses « veuves » ou « orphelines », que les logiciels de traitement de texte sont incapables de traiter correctement, pour la plupart… Si rapidement ont vu le jour des programmes spécialisés, les logiciels de PAO (publication assistée par ordinateur), ce n’est de fait pas sans raison.

En exagérant un peu, on pourrait dire que, ce qui signe la réussite d’une mise en pages, c’est le fait de n’avoir rien à en dire. Après tout, une bonne mise en pages n’est pas censée tirer la couverture à soi ; au contraire, elle vise à servir le texte, à en rendre la lecture aussi fluide et agréable que possible. Élégance et discrétion sont donc ses maîtres mots.

Ce qui, en revanche, le plus souvent arrête l’œil et entrave la lecture, ce sont ces multiples défauts que l’on retrouve hélas trop souvent dans les livres publiés en France, et pas seulement chez les autoédités ou les éditeurs à compte d’auteur

Pourquoi faire appel à un professionnel ?

Mettre en pages un roman est nettement plus complexe qu’on pourrait le croire.

Tout commence par la conception de la maquette, la mise en page à proprement parler, qui consiste à définir la disposition graphique, dans l’espace de la page, de contenus informationnels — qui pour un roman ou un essai se limitent le plus souvent à du texte.

Concevoir une mise en page équilibrée nécessite de prendre en compte un nombre relativement important de paramètres :

  • Format du livre (dimensions de la page)
  • Empagement (dimensions et positionnement sur la page du rectangle destiné à accueillir le texte courant — soit, en somme, le calcul des marges)
  • Choix de la police de labeur (police utilisée pour le texte courant) et éventuellement d’une police de titraille distincte
  • Choix de leurs corps respectifs (taille de la police)
  • Calcul de l’interlignage (distance entre deux lignes consécutives, en fonction de la longueur des lignes et de la hauteur d’x, mais aussi de l’axe des caractères choisis)
  • Positionnement et contenu des en-têtes et des pieds de page, mise en forme des premières pages de chapitre, de partie
  • Sans oublier la mise en forme des pages « spéciales » : page de faux-titre, page de titre, mentions légales, éventuelle dédicace, table des matières, achevé d’imprimer

La part de liberté est moindre que ce qu’on l’imagine parfois, car beaucoup de ces paramètres sont en fait liés entre eux par des rapports mathématiques. Il y a aussi des usages à connaître, dans la mesure où il est généralement prudent de ne pas trop s’en éloigner.

Le travail toutefois ne s’arrête pas là. En un sens, il ne fait même que commencer, car la maquette, pour essentielle qu’elle soit, ne constitue jamais que les fondations du livre. On ne saurait certes rien bâtir de solide sur la base d’une maquette ratée, mais l’« édifice » reste à construire.

La typographie

La suite, en l’occurrence, c’est donc la typographie. Au sens propre, le terme désigne l’art de composer le texte à mettre en pages en assemblant des caractères destinés à former une suite de lignes constituant le rectangle d’empagement ou bloc de composition, avant de passer à la page suivante. On parle également de « composition ». C’est ici qu’intervient la notion de « gris typographique ».

Pourquoi « gris » ? Parce qu’une page se présente comme une alternance de « noir » et de « blanc », de zones imprimées et de zones non imprimées.

Pour le dire autrement : « Une page ne comprend aucun vide, seulement des espaces entre les éléments imprimés. L’essence même de la typographie consiste à régler ces espaces pour obtenir le meilleur rapport entre noir et blanc. C’est la clé d’une page de texte harmonieuse. » — James Felici.

La macrotypographie et la microtypographie

On peut ainsi distinguer la macrotypographie, qui concerne les aspects généraux de mise en page, et la microtypographie, qui concerne la composition de la ligne, des mots, la succession des caractères (avec les notions d’approche et de paires de crénage).

Bref, la mise en pages est un métier. On peut certes se former soi-même : il existe de nombreux manuels de mise en pages et de typographie. Aucun n’étant toutefois véritablement complet, il convient d’en étudier plusieurs avant d’être en mesure de réaliser une mise en pages de qualité professionnelle. Encore le savoir théorique ne suffit-il évidemment pas : il faut aussi apprendre à se servir d’un logiciel de PAO. Même pour un simple roman, ne pas compter être opérationnel avant plusieurs mois…

Mais faire appel à un professionnel, n’est-ce pas réservé aux plus fortunés ?

Pas nécessairement — à condition bien sûr de trouver quelqu’un de compétent, capable de travailler aussi vite qu’efficacement.

Si l’on sait s’en servir, l’informatique permet aujourd’hui d’automatiser une grande partie du travail de mise en pages et de composition, s’agissant des ouvrages aux maquettes simples comme les romans ou essais. Mais les logiciels de PAO les plus connus, Adobe InDesign, QuarkXPress, Affinity Publisher ou encore Scribus, ne sont pas ici les plus adaptés.

J’utilise quant à moi le programme LuaTeX et le format LaTeX (abrégé en « LuaLaTeX »), ce qui me permet de mettre en pages en quelques dizaines de minutes seulement un livre de 300 pages pour une qualité typographique dans la bonne moyenne de ce que propose l’édition littéraire française — ce qui, avouons-le, est bien loin encore d’être parfait.

En quatre à cinq heures de travail, on peut heureusement obtenir une bien meilleure qualité, équivalent à peu près à ce que proposent des maisons d’édition réputées comme les éditions Allia ou Monsieur Toussaint Louverture. Viser la perfection demande toutefois plus de temps, environ deux jours et demi pour un roman standard de 300 p.

Mais qu’est-ce que la perfection en matière de typographie ? On peut dire qu’il s’agit, en creux, de l’absence de défauts.

Repérer les défauts de mise en page et de composition

Vos livres ne méritent-ils pas le meilleur ? Que vous vous autoéditiez ou que vous soyez publié par une maison d’édition (à compte d’auteur comme à compte d’éditeur), il est important de disposer d’un minimum de culture typographique si vous voulez pouvoir évaluer le travail qui vous sera présenté.

Face à tel ou tel accident de composition, il peut arriver qu’aucune solution ne puisse être trouvée qui ne soit pire que le mal. C’est alors non sans avoir livré bataille que le typographe consciencieux se résoudra à laisser les choses en l’état : s’il faut y tendre, la perfection typographique est un idéal rarement atteignable. Ce qui donc doit alerter sur les compétences ou le sérieux d’un typographe, ce n’est bien sûr pas la survenue exceptionnelle de tel ou tel défaut, mais la fréquence de problèmes non résolus dans les ouvrages qu’il aura et composés.

Exemple d’erreurs communes de mise en page

Plutôt que de détailler une longue liste abstraite de tels défauts, voici un « brillant » contre-exemple d’à peu près tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de mise en pages et de composition typographique (premier PDF), en espérant que l’énumération des défauts mis en évidence sera suffisamment éloquente. Le second PDF propose au contraire une mise en pages réalisée avec soin. Il s’agit dans les deux cas du même texte, le premier chapitre du roman d’Anatole France Les dieux ont soif.

Explications

  • Choix d’un format exotique sans pertinence manifeste, 10 cm × 12 cm : le livre est presque un carré, ce qui crée une impression de solennité et de statisme, a priori incongrue pour un roman.
  • Empagemenent désastreux : les marges définies sont visiblement sans rapport entre elles, et l’on remarque que le petit fond (marge interne) est supérieur au grand fond (marge externe), et le blanc de pied (marge inférieure) inférieur au blanc de tête (marge supérieure), ce qui constitue deux non-sens esthétiques absolus ; il en résulte un rectangle d’empagement (bloc accueillant le texte courant) dont non seulement les dimensions sont sans rapport avec le format du livre, mais dont le positionnement n’obéit visiblement qu’au hasard — il est en l’occurrence beaucoup trop bas et vers l’extérieur.
  • Le choix de la police de labeur est à la fois sans originalité et inadapté. Indépendamment de ses qualités formelles, le Times de Stanley Morrison s’est vu user jusqu’à la corde et surtout à mauvais escient : police étroite conçue pour répondre aux contraintes d’une impression en colonnes sur du papier journal de mauvaise qualité, il n’a pas du tout été pensé pour l’édition littéraire.
  • La première page du chapitre ne devrait pas présenter d’en-tête. En raison du numéro de chapitre composé dans une force de corps supérieure à celle du texte courant, un décalage vertical non corrigé (« perte du registre »), signalé par le trait rouge vertical ondulant, se produit par rapport aux lignes des pages suivantes : sur du papier bouffant de 80 g, ce décalage serait visible par transparence.
  • Le traitement automatique des veuves et des orphelines (respectivement la dernière ligne d’un alinéa en haut de page et la première ligne d’un alinéa en bas de page) a été assuré de la pire des manières qui soient, en chassant une ou même plusieurs lignes à la page suivante : il en résulte des rectangles d’empagement de hauteur variable, ne comportant pas toujours le même nombre de lignes (ainsi, p. 3, il manque deux lignes ; p. 8, une — problème signalé par un trait horizontal ondulant en bas de page).
  • La dernière page du chapitre est tout naturellement une page creuse (le texte ne remplit pas le rectangle d’empagement), mais la page 11 ne comprend que deux lignes, ce qui est inesthétique : il est recommandé, selon les auteurs, de ne pas descendre en dessous de cinq ou de six lignes pour une page creuse.
  • La composition typographique est déplorable. On trouve ainsi pléthore de lignes lavées (ou lignes blanches, lignes dont les mots sont visiblement trop écartés, signalées en cyan). Corollaire inévitable : le texte est fréquemment défiguré par d’horribles trouées blanches ondulantes (lézardes), verticales (cheminées) ou obliques (rues), signalées en rouge. La cause de ce désastre est simple : la coupure de mots (division) n’a pas été activée, ce qui constitue un suicide typographique pour un texte courant sur une justification relativement étroite (autour de 55 signes par ligne).
  • Au rayon des catastrophes typographiques, ajoutons la présence de signes dactylographiques (« affectueusement » surnommés chiure de mouche [‘, partout] et gant de toilette [“, p. 2]) au lieu de l’apostrophe (’) et des guillemets à chevrons (que l’on trouvera cependant par la suite). Le trait d’union (-) est employé par ailleurs en lieu et place du tiret (—).
  • De surcroît, pour éviter un défaut d’alignement horizontal du premier mot de chaque réplique, le tiret de dialogue doit être suivi d’une espace de chasse fixe (de dimension constante), et non d’une espace justifiante (de chasse variable), sans quoi les départs de réplique swinguent de manière plus ou moins marquée. Au volet des espaces, toujours, les signes de ponctuation doubles (« » ; : ! ?) auraient dû être précédés (ou suivis, pour les guillemets ouvrants) d’une espace insécable (afin d’éviter par exemple d’avoir des guillemets ouvrants en fin de ligne, p. 7, l. 7), qui plus est fine (deux fois plus étroite que l’espace intermot) pour les points d’interrogation et d’exclamation, le point-virgule, voire le deux-points (mais beaucoup préconisent plutôt une espace justifiante) et les guillemets (d’aucuns préconisent une espace de chasse supérieure à la fine, mais inférieure à l’espace intermot — je suis quant à moi de l’école préconisant l’homogénéisation des espaces avant/après les signes de ponctuation qui les demandent, avec une fine dans tous les cas).

Enfin, les remarques qui suivent sur les points surlignés en jaune dans le PDF paraîtront peut-être relever de la maniaquerie — on dit aussi « de la typographie soignée » : « Une typographie réussie est le résultat du soin apporté au moindre détail, parfois par touches infimes. […] Il est nécessaire pour cela de supporter d’être considéré comme un maniaque. » — James Felici.

  • Recours aux chiffres majuscules plutôt qu’aux chiffres minuscules (ou elzéviriens), plus élégants et améliorant le confort de lecture (p. 1 et 5).
  • Cascade de e en fin de ligne (quatre consécutifs, p. 1) ; p. 2, deux de superposés (milieu de page) ; p. 3, deux ne superposés en fin de ligne (bas de page) ; p. 4, deux la superposés en fin de ligne (l. 1 et 2) ; p. 5, deux de superposés en fin de ligne (l. 5 et 6) et deux séquences -ait superposées en fin de ligne (bas de page). Susceptibles de créer une distraction visuelle, donc de perturber la lecture, ces superpositions inopinées sont à éviter autant que possible.
  • On trouve trois lignes terminées par à (p. 6, 7 et 8) : certains typographes vétilleux préconisent de ne pas terminer une ligne par un mot d’une lettre (a, à, ô, y, et bien sûr une lettre employée en autonymie) ; d’autres encore, de ne pas terminer une ligne par le premier mot monosyllabique d’une phrase (après la microinterruption du point, à peine la phrase suivante est-elle commencée que le lecteur doit déjà procéder à un balayage oculaire pour lire la suite, ce qui occasionne une saccade désagréable) comme ici p. 7 (« . Les », l. 3) et p. 9 (« . Si », vers le bas de la page).

N’hésitez pas à prendre contact avec Thomas Savary ici.

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