La négligence du marché de l’édition envers les livres en FALC : pourquoi ce désintérêt ?


Depuis 15 ans, des avancées linguistiques ont émergé pour rendre l’information accessible à tous. Parmi celles-ci, le Facile à lire et à comprendre (FALC) a été créé en 2009 à la suite du projet européen Pathways. Destiné aux personnes ayant des troubles du développement intellectuel, cet outil commence à se faire remarquer dans la sphère administrative, mais demeure largement absent dans le domaine culturel.

L’édition adaptée en France

Selon les données de l’INSEE, environ 12 millions de personnes en France, représentant 18 % de la population, ont des handicaps. Pour garantir leur accès à la lecture, différents formats accessibles ont émergé, comme le braille, les gros caractères, les livres audio, les livres DYS et les adaptations EPUB. Cependant, cette nouvelle production ne représente que 5 % de la production éditoriale annuelle, soit moins de 30 000 titres par an sur les 600 000 accessibles au reste de la population. Cette approche, axée sur la forme du livre, est très insuffisante et crée une discrimination évidente.

Cette lacune est encore plus criante pour les personnes ayant des difficultés de lecture et de compréhension, telles que celles avec des troubles du développement intellectuel, les personnes allophones, illettrées, en décrochage scolaire, âgées ou sourdes. Pour ce public, une adaptation est nécessaire non seulement sur la forme mais aussi sur le contenu. C’est là que le Facile à lire et à comprendre (FALC) entre en jeu, dépassant le simple aspect technique pour offrir une solution adaptée.

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Le défi de la FALC

La création ou la traduction de livres en FALC en France représente un défi complexe, à la fois technique, intellectuel et humain, selon Cécile Arnoult, fondatrice de Kiléma Éditions, spécialisée dans ces ouvrages. Outre ces défis, un obstacle majeur entravant la publication de ces livres est la présomption d’incompétence pesant sur les personnes ayant des troubles du développement intellectuel, illustrant ainsi un problème plus vaste de maltraitance envers les personnes handicapées.

Avant l’arrivée de Kiléma Éditions sur la scène éditoriale française, seulement une dizaine de livres en FALC étaient répertoriés. Pourtant, en France, il existe 700 000 personnes avec des troubles du neurodéveloppement et plus de 10 millions de personnes qui rencontrent des difficultés de lecture.

Cette exclusion d’une part importante de la population s’accompagne parfois de commentaires désobligeants sur l’utilité de publier de tels livres. Cécile Arnoult partage : “Certains affirment que les livres en FALC abaissent le niveau des lecteurs, d’autres considèrent futile la publication d’ouvrages pour ‘des gens qui de toute façon ne comprennent rien’… Ces remarques peuvent être très violentes alors que ces livres ne concernent même pas ces personnes, tandis que nos lecteurs voient leur vie changer grâce à ces livres accessibles.”

La création littéraire ou la traduction de livres existants


Il existe deux approches pour rendre des textes accessibles en FALC : la création littéraire ou la traduction de livres existants.

Kiléma Éditions a choisi de se spécialiser dans la traduction en FALC, un véritable défi à la fois littéraire et humain. Cette forme de traduction implique une simplification de la langue, en utilisant des mots courants, des phrases courtes au présent, sans abstractions ni métaphores, ni même de forme passive. L’objectif est de restituer l’essence et la spécificité de l’œuvre. Pour Mathilde Langeard, éditrice chez Kiléma Éditions, cette simplification n’est pas une réduction du sens de l’œuvre, mais une valorisation de son essence.

La traduction en FALC représente également un défi humain et inclusif. Pour obtenir le label “Facile à lire et à comprendre“, le texte doit être élaboré en collaboration avec le public cible. Contrairement à beaucoup d’autres acteurs du FALC qui s’appuient sur des structures médico-sociales pour travailler leurs textes, Kiléma Éditions a constitué en interne un comité de relecture composé de deux relectrices en situation de handicap et d’une coordinatrice. Ainsi, Laura, une jeune femme atteinte de trisomie 21, occupe un rôle clé au sein de la maison d’édition, démontrant ainsi une remise en question de la présomption d’incompétence.

Ce comité de relecture passe en revue l’ensemble des textes produits par Kiléma Éditions, identifiant les mots difficiles, les phrases complexes et les idées peu claires.

Pour Kiléma Éditions, l’objectif n’est pas de parler “à la place de”, mais de permettre aux personnes concernées d’être des décisionnaires dans le processus éditorial. Ce comité reflète l’engagement de Kiléma Éditions en faveur de l’intégration des personnes en situation de handicap dans un environnement ordinaire.

Cependant, cet engagement a un coût : l’embauche de trois personnes supplémentaires au sein d’une petite structure indépendante. Peu de maisons d’édition sont prêtes à relever ce défi financier sans soutien extérieur. Cécile Arnoult souligne le manque de soutien financier pour l’édition adaptée, précisant que le FALC ne bénéficie actuellement d’aucune aide spécifique, malgré les coûts élevés de production de ces livres.

Les problèmes techniques, humains et financiers

Certaines maisons d’édition et associations relèvent le défi en s’attaquant de front aux problèmes techniques, humains et financiers. Ces structures, spécialisées et bien informées sur les besoins de leur public cible, sont souvent motivées par des expériences personnelles ou familiales. Leur engagement vise à ouvrir la voie à des initiatives plus larges, avec l’espoir à long terme d’une reconnaissance au niveau étatique.

En traduisant des œuvres sur le fond et la forme, Kiléma Éditions aspire à rendre la connaissance accessible à tous. Cette maison d’édition prône l’ouverture de la littérature au-delà des cercles d’experts et d’universitaires.

Pour Kiléma Éditions, “la culture représente un ensemble de connaissances cruciales pour décoder le monde, comprendre le passé et envisager l’avenir. Priver les personnes en situation de handicap de ces connaissances les maintient dans l’ignorance et la dépendance. Cela les cantonne à un rôle de spectateurs dans un système qui les exclut de toute action. Cela les réduit à une présomption d’incompétence qui limite le chemin de toute personne en situation de handicap.”

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