Le voyage voulu
Sur le chemin du retour lors de mon dernier voyage sur la Côte amalfitaine, je ne pensais qu’à une chose : home sweet home. Les paysages de cette région d’Italie m’en avaient mis plein les yeux. Tous mes sens avaient été en éveil. Pourtant, lorsque le dernier jour à Naples arriva, j’étais heureuse à l’idée de rentrer chez moi, de retrouver mon confort et mon lit. Je pouvais enfin rentrer chez moi.
J’étais heureuse comme Ulysse dans le poème de Joachim Du Bellay. Tout le monde se souvient du premier vers :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage …
Contrairement à Du Bellay, il n’y avait chez moi ni tristesse ni déception d’avoir quitté Paris. Bien au contraire, une joie et excitation m’animèrent bien avant le voyage.
Ce dont parle Du Bellay dans son fameux poème, c’est le mal du mal du pays. Du Bellay exprime la douleur de l’exil. Son exil est douloureux et la nostalgie domine tout le poème. Il oppose la froideur romaine à la « douceur angevine ». La version chantée par Georges Brassens vous fera apprécier ce poème d’une autre manière.
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.
Le sens du voyage
Qui dit voyage, dit retour. Parfois, le retour au pays prend du temps. Prenez Ulysse encore. Dans l’Odyssée, n’a-t-il pas mis dix années à revenir chez lui ? L’Odysée est un voyage initiatique comme on en trouve beaucoup dans la littérature. Ce voyage représente pour le héros une découverte et une initiation. L’itinéraire est parfois perturbé, ce qui pousse le héros à affirmer ses qualités et à se dépasser.
Le voyage d’Ulysse est symbolique : le retour ne peut se faire qu’à la condition d’affronter des épreuves. Vous vous souvenez sans doute de l’épreuve des sirènes. Le chant des sirènes est tellement envoûtant que des marins qui étaient passés par là avaient oublié de se nourrir. Pour affronter cette dure épreuve de séduction, Ulysse ordonne à ses compagnons de se boucher les oreilles et de poursuivre leur route.
Autre exemple, Candide de Voltaire. Jeune héros naïf, Candide voyage de l’Allemagne à la Turquie en passant par la Bulgarie, le Portugal ou l’Amérique Latine au gré de ses aventures. Ses voyages le rendent conscient de ce qu’il est vraiment et accélèrent sa métamorphose. Récit de formation, Candide ou l’Optimisme transforme son héros en philosophe.
« Comme les richesses de ce monde sont périssables, il n’y a rien de solide que la vertu et le bonheur. »
« Il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. »
Extraits de Candide ou l’Optimisme – Voltaire
Le voyage contraint
En 2023, jamais les déplacements de populations et les mouvements de migration n’ont été aussi nombreux. Il suffit de lires les drames recensés dans les journaux en Méditerranée, en Ukraine, ou plus récemment en Turquie.
L’exil est une question de survie. Il est une forme de déracinement qui pousse au déplacement vers un ailleurs meilleur. Les raisins de la colère de John Steinbeck est à mon sens le roman qui en parle le mieux. Ce roman brosse un portrait morose de l’Amérique de la Grande Dépression dans les années 130.
« Comment vivre sans nos vies ? Comment savoir que c’est nous, sans notre passé ? »
Les Raisins de la Colère – John Steinbeck
Steinbeck y dénonce la violence du capitalisme représenté par des banques qui exproprient et jettent sur les routes américaines des milliers d’agriculteurs du sud contraints à l’exil, à la recherche d’un eldorado qui se trouve à l’ouest.
“Ils respirent les profits ; ils mangent les intérêts de l’argent. S’ils ne l’obtiennent pas, ils meurent comme vous mourez sans air, sans viande d’accompagnement.”
“La banque est quelque chose de plus que les hommes, je vous le dis. C’est le monstre. Les hommes l’ont fait, mais ils ne peuvent pas le contrôler.”
Les Raisins de la Colère – John Steinbeck
Ce « far West » qui est censé représenter le rêve américain est surtout un cauchemar pour la famille Joad que nous suivons tout au long du voyage. Steinbeck dénonce la cupidité des grandes institutions et décrit avec beaucoup de justesse la misère ouvrière et les conditions de vie des travailleurs.
Ce qui fait la puissance de ce roman, c’est le personnage principe Tom Joad. Simple et humain, il refuse l’injustice et il considère le monde entier comme sa famille.
« Chaque fois qu’ils se battent pour que les gens affamés puissent manger, je serai là. ‘ Je serai dans la façon dont les enfants rient quand ils ont faim et ils savent que le souper est prêt. Et quand nos gens mangent ce qu’ils élèvent et vivent dans les maisons qu’ils construisent, eh bien, je serai là. »
Les Raisins de la Colère – John Steinbeck
Si vous aimez Bruce Springsteen, je ne peux que vous conseiller d’écouter « The ghost of Tom Joad » ou le chanteur donne la parole au fantôme de Tom Joad ci-dessus fait partie des paroles.
Now Tom said, “Mom, wherever there’s a cop beating a guy
Wherever a hungry newborn baby cries
Where there’s a fight against the blood and hatred in the air
Look for me, Mom, I’ll be there
The Ghost of Tom Joad – Bruce Springsteeen
Et pour les fans du septième art, le film tiré du roman et réalisé par John Ford est bouleversant et Henry Fonda dans le rôle de Tom Joad est tout simplement grandiose.
Kaoutar Boussefa
Redécouvrez la première chronique de Kaoutar Boussefa sur les haïkus ici