Une vaste question, très personnelle au fond, une question à laquelle chaque écrivain répondra différemment, mais une question ô combien intéressante. Quel est ce long processus d’accouchement du livre ? Comment naît la première idée d’écriture, l’idée fondatrice susceptible de donner naissance à l’œuvre ? Comment se développe cette idée-là ? Quel rituel adopte-t-on pour qu’elle puisse croître en un récit construit ? Ce sont des interrogations qui méritent d’être posées parce qu’elles intéressent le néophyte de la littérature, l’auteur en herbe, l’écrivain patenté. Au-delà, il y a un mystère : l’énigme de la création, son origine, son déploiement, la relation que l’on instaure avec elle. Quand un lecteur se plonge dans un livre, il lui arrive de se questionner sur le travail en amont de l’écrivain, sur les épreuves qu’il a dû surmonter pour arriver à bon port, sur les multiples brouillons qu’il a rédigés avant d’accéder à la version finale.
Rémi Madar, auteur des étoiles dans les yeux, nous raconte son processus d’écriture.
La première du processus d’écriture : L’idée
Chaque objet est de nature à être une idée pour un livre. Seulement, il faut que l’objet en question entre en résonance avec nos préoccupations, nos aspirations et qu’il ait un impact en nous assez fort pour nous engager sur plusieurs mois d’écriture.
Sans quoi, après quelques pages écrites, la motivation se perd, le projet initial se délite et l’objet reste lettre-morte. Pour savoir si cet objet est le bon, l’écrivain se fie à ce que j’appelle l’écho. Au fil de l’écrit, l’auteur est plongé dans ce qu’il crée et sa création, d’une certaine façon, lui fait comprendre qu’il est sur une voie juste si bien qu’après un temps se constitue même une fusion entre le créateur et sa création.
Exemples d’idées d’écriture
- Prenons quelques exemples d’idées. La maladie de Parkinson de mon père, son langage qui se fait rare, qui décline au fil du temps, et grâce à sa maladie, le fils que je suis voit dans son père un être sage. L’objet est pris dans la famille-un père et son fils-il devient idée créatrice. Je pars de là pour me lancer dans l’écriture et raconter le récit d’un fils mutique et d’un père qui, au terme de sa vie, emmène son fils à l’autre bout du monde et l’émancipe en lui demandant de partir, de suivre un chemin, de faire sa vie. Le fils quitte le père mourant pour peut-être un jour trouver sa voix…
- Je participe un dimanche sur deux à des cours de théâtre improvisé. L’enseignant évoque une situation autour de laquelle nous devons imaginer une scène et la développer : un vieux monsieur sur un banc et un enfant qui vient le voir. Je reprends à mon compte cette idée et me voilà lancé dans une nouvelle aventure romanesque. Le vieux monsieur vend son appartement luxueux, habite au parc des séquias géants, trouve le bonheur là-bas, d’autres personnages désoeuvrés vont le rejoindre parce qu’il incarne une sagesse que beaucoup recherchent…
- Le virus appelé Covid 19. Nous n’avons plus le droit de sortir, il y a des autorisations spéciales pour s’extraire de chez soi, la peur gagne du terrain. Je suis chez moi avec mon fils. Cette situation m’inspire. J’invente à partir de là une fiction : le récit d’un père et d’un fils claquemurés dans une maison, une cité dévastée, des hommes masqués, armés de barre de fer qui sèment la discorde. Un ami arrive dans la maison paternelle, il a un don : en déclamant des poèmes, il repousse les ennemis…
Trois idées et trois romans qui ont vu le jour : Une voie pour une voix, Des étoiles dans les yeux et Voyageurs.
Le commencement de l’écriture
Pas de plan d’écriture, mais une confiance immodérée dans l’imaginaire. Je m’en remets à la première idée et j’écris sans me soucier d’une trajectoire parce que j’observe que l’imaginaire se construit de lui–même. Si je devais bâtir un plan d’écriture, j’entraverais la vision, je verrais moins bien les personnages. Je n’avance pas non plus en aveugle en écrivant au fil de la plume tout ce qui me vient. En reprenant mon texte, je relis le passage précédent pour m’en imprégner, je me mets en condition en me glissant dans l’atmosphère de la fiction et je poursuis le récit.
Il y a une telle intensité qu’après deux ou trois heures, je m’interromps. Et ainsi de suite jusqu’à la dernière ligne du premier jet. Je ne réfrène pas cette écriture, je m’y abandonne nerveusement, des passages déjà aboutis arrivent parfois à jaillir de cette première entreprise mais le plus souvent l’écriture mérite une réécriture.
Lire : enrichir son vocabulaire
La réécriture de manuscrit
S’ensuit le deuxième jet. J’imprime le tapuscrit et avec un stylo je donne au texte une forme et un contenu qui se rapprochent de la version finale.
Je raye tout ce qui est didactique (ne pas trop expliquer au lecteur, qu’il le déduise lui-même, c’est bien plus plaisant), je gomme les redites, les répétitions, les phrases alambiquées, les effets de style, d’une certaine manière on peut dire que j’élague, j’enlève le superflu pour que mon texte, clair et fluide, puisse emporter l’adhésion du lecteur.
La correction du manuscrit
Fini le second jet ! Après bien trop mois de labeur… Je repasse sur l’ordinateur pour apporter tous les rectificatifs notés manuscritement. Puis j’imprime à nouveau. La correction s’impose maintenant. Une sorte de troisième jet. Reste-t-il encore quelques maladresses ? Je les redresse par une autre phrase. Ce paragraphe n’est pas à sa place ? Est-il utile ? Je le déplace ou je le supprime. Je passe au peigne fin l’orthographe.
Le choix du titre
A la fin, le tapuscrit est prêt à être envoyé aux éditeurs. Il ne manque plus que le titre qui me vient quand le point final est mis. J’en recense une dizaine, je reviens dessus plusieurs fois, je laisse passer du temps et un jour le titre m’est révélé. Comme une évidence. Comme une vérité.
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