Le 9 mai 2025, le tribunal correctionnel de Paris a rendu une décision qui fait l’effet d’une onde de choc dans le secteur juridique et éditorial : un ancien salarié de la société Forseti, éditrice du site Doctrine.fr, a été condamné pour intrusion informatique et extraction illégale de plus de 52 000 décisions judiciaires non publiées.
Pris en flagrant délit au tribunal de grande instance de Poitiers, l’homme avait intégré frauduleusement le système informatique de la juridiction, téléchargeant massivement des décisions confidentielles qui furent ensuite intégrées à la base de données de Doctrine.fr, puis mises à disposition des abonnés.
Sanction : 18 mois de prison avec sursis et 15 000 € d’amende
Une décision qui s’inscrit dans un climat judiciaire tendu
Cette condamnation s’ajoute à un autre jugement rendu deux jours plus tôt, le 7 mai, par la Cour d’appel de Paris, qui avait condamné Doctrine.fr pour concurrence déloyale à l’encontre de plusieurs éditeurs juridiques français majeurs (Lexbase, LexisNexis, Dalloz, Lextenso, Lamy Liaisons). La plateforme aurait acquis illégalement plusieurs centaines de milliers de décisions de justice entre 2016 et 2019, obtenant ainsi un avantage concurrentiel indû.
Malgré cela, Doctrine.fr se félicite que l’intégralité de sa base reste disponible, qualifiant sa condamnation d’“excès de vitesse” dans la collecte, avec des dommages limités à 40 000–50 000 € par éditeur, loin des montants initiaux réclamés.
L’ombre d’un scandale éthique : entre accès à la justice et pillage des contenus
Ce nouveau rebondissement soulève une problématique essentielle : dans un contexte de numérisation accélérée du savoir juridique, où tracer la frontière entre open data et appropriation abusive devient complexe, cette affaire résonne comme une alerte éthique.
Obligée d’afficher sa condamnation en page d’accueil pendant 60 jours, la plateforme Doctrine.fr se voit rappelée à l’ordre : diffuser le savoir juridique implique de respecter la confidentialité, le droit d’auteur, et les règles d’accès à l’information publique.
La défense de Doctrine : mise hors de cause et licenciement du salarié fautif
Dans un communiqué transmis à ActuaLitté, Doctrine.fr précise avoir été mise hors de cause pénalement depuis plusieurs années. Selon l’entreprise, dès 2018, le salarié incriminé avait été suspendu à titre conservatoire, avant d’être licencié pour faute grave. Toutes les décisions extraites illégalement ont alors été supprimées.
« À ce jour, notre site ne contient que 968 décisions du tribunal judiciaire de Poitiers, issues exclusivement de l’open data ou de nos utilisateurs », précise Doctrine.fr.
Par ailleurs, la société accuse ses concurrents d’amalgames entre l’affaire civile jugée récemment (liée à la concurrence) et cette affaire pénale, dans laquelle elle affirme ne plus être impliquée.
Une guerre feutrée autour des savoirs juridiques
Cette affaire illustre à merveille les tensions croissantes dans l’univers de la diffusion des contenus juridiques, où se croisent enjeux d’accès libre à l’information, protection des données sensibles, et monétisation du domaine public.
Entre réalité judiciaire et ambiance de thriller juridique, cette affaire pourrait inspirer plus d’un romancier.