Face à la surproduction, les librairies françaises tirent de plus en plus souvent la sonnette d’alarme : le temps et l’espace ne sont pas illimités, et cet afflux constant met en péril la viabilité des points de vente de livres. Pour la deuxième année consécutive, l’Association pour l’écologie du livre lance une démarche de recherche-action, sous la forme d’une pause dans les nouveautés, afin d’explorer un autre rythme et d’analyser ses effets.
La trêve des nouveautés : Une réflexion collective sur le rythme des sorties de livres
Depuis sa création en 2019, l’Association pour l’écologie du livre aborde des problématiques souvent ignorées dans le secteur, telles que la fabrication des livres, leur médiatisation et le fonctionnement de la chaîne du livre. À l’aide de bénévoles, ainsi que d’un salarié à plein temps et d’un mi-temps, l’association mène un travail de réflexion et d’action.
La “trêve des nouveautés“, lancée en 2024, s’inscrit à la croisée de ces préoccupations. Dans un environnement où les librairies sont confrontées à une surproduction d’ouvrages et à un flux constant de nouveautés – environ 300 par jour – les libraires décident de suspendre les commandes pour se concentrer sur la mise en valeur, la lecture et la défense des livres déjà en stock. L’objectif : mieux vendre.
Entre janvier et juin 2024, une trentaine de librairies en France et en Belgique ont appliqué cette trêve. Le bilan, publié en décembre 2024, montrait l’absence de baisse significative des ventes pendant cette période, confirmant l’efficacité de l’initiative.
Pour la “phase 2” de cette trêve des nouveautés, l’Association pour l’écologie du livre invite les libraires à la mettre en place de mars à avril 2025, voire au-delà si souhaité. “Nous avons choisi deux mois pour permettre une analyse plus approfondie et fournir des comparatifs plus pertinents”, explique Anaïs Massola, cofondatrice de l’association et gérante de la librairie Le Rideau rouge à Paris. Ces mois représentent également une période de forte arrivée de nouveautés éditoriales, ce qui complique la gestion financière des librairies, surtout en l’absence d’un moment fort comme les fêtes de fin d’année. À la sortie de la rentrée littéraire d’hiver, de plus en plus conséquente, les librairies pourraient vraiment bénéficier d’un ralentissement.
La trêve des nouveautés : une réflexion sur la surproduction et les mécanismes de l’édition industrielle”
Il est évident que cette trêve des nouveautés ne s’appliquera pas de manière uniforme à tous les catalogues d’éditeurs. “Les éditeurs que nous ciblons en priorité sont ceux qui ont été financiarisés, qui participent à un processus de concentration, d’augmentation de la production, et qui adoptent une logique hégémonique”, souligne Anaïs Massola, citant des groupes comme Hachette, Editis, Madrigall ou Actes Sud.
“Nous avons remporté une première victoire face à ces grands groupes”, estime la cofondatrice de l’association, “dans la mesure où ils reconnaissent aujourd’hui l’existence d’une surproduction. Ils admettent que la production est en baisse et que toute nouvelle croissance est désormais impossible, ce que je pense aussi, à cause des effets de l’inflation et de l’augmentation des coûts de production.”
Cependant, elle émet des doutes sur le modèle économique actuel de ces grands groupes, qui semble incompatible avec une réduction continue de la production. “Peut-être que la concentration, grâce aux rachats d’autres maisons d’édition, leur permet de compenser, à travers un jeu de chaises musicales.”
En plus de la surproduction, la trêve des nouveautés s’attaque également aux livres dits de “reproduction”, un mécanisme récurrent dans l’édition industrielle. Il s’agit de publications qui tentent de capitaliser sur un succès en multipliant les parutions similaires, que ce soit au sein du même groupe ou chez des concurrents.
“Je pense par exemple aux livres sur des femmes dans la forêt”, illustre Anaïs Massola. Après la publication de Dans la forêt de Jean Hegland (trad. Josette Chicheportiche, Gallmeister), de nombreux récits similaires ont vu le jour. “Cela ne signifie pas que ces livres sont mauvais ou sans intérêt, mais il est important de remettre en question ce comportement, à la fois conscient — visant à capter des parts de marché — et inconscient, lié à un intérêt grandissant pour ce type d’ouvrages.”
L’association pour l’écologie du livre : vers une réflexion collective sur l’accélération de la production et la qualité du travail des libraires
L’appel de l’Association pour l’écologie du livre (disponible ci-dessous ou à cette adresse) met en lumière un enjeu essentiel : les libraires participants doivent veiller à maintenir le dialogue avec les représentants des éditeurs, qui leur présentent les nouveautés et tentent de les convaincre de passer commande.
“Nous le répétons depuis le début : l’accélération de la production affecte tout le monde, impactant la qualité du travail des représentants, leur temps de lecture et leur capacité à défendre les titres. Les éditeurs en souffrent également, car cela risque de dénaturer nos métiers. Nous sommes tous concernés”, souligne Anaïs Massola.
Au printemps, l’Association pour l’écologie du livre mettra en place deux groupes de travail regroupant des éditeurs et des libraires indépendants, dans le but d’identifier les besoins de ces professions. Ces besoins seront ensuite transmis aux distributeurs. “C’est une façon de poser les choses sur la table, de proposer des pistes pour sortir de ce système. Je pense que cela pourrait intéresser les grands groupes, et ce travail pourrait également être repris par le Syndicat de la librairie française pour alimenter les discussions avec le Syndicat national de l’édition.”
Le bilan de cette nouvelle recherche-action sera présenté en juin 2025.