Clap de fin pour Les Moutons Électriques : après vingt ans d’aventure éditoriale, la maison tourne la page. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Ces mots de Paul Valéry prennent une résonance amère pour André-François Ruaud, fondateur et dirigeant. Il décrit une année 2024 marquée par des désillusions et un déclin progressif. Aucun repreneur n’a été trouvé, malgré des rumeurs un temps autour de Hachette.
Les Moutons Électriques, la fin d’un rêve éditorial
L’année 2024 semblait pourtant bien commencer pour Les Moutons Électriques. « Un bilan des quatre derniers mois de 2023 s’avérait largement positif », affirme André-François Ruaud, éditeur et fondateur. Mieux encore, un prévisionnel à trois ans laissait entrevoir une rentabilité pour l’entreprise. Pourtant, une dure réalité s’est imposée : « Les retours enflèrent peu à peu, révélant que nos parutions de 2023 ne s’étaient pas vendues. »
Une conjoncture défavorable
La fantasy adulte, secteur clé de la maison, a perdu du terrain face à la montée en puissance de la « romantasy ». Malgré un virage stratégique vers la science-fiction et le fantastique, les ventes ont continué de décliner. Les tentatives pour redresser la barre se sont multipliées : prêts, subventions, nouveaux contrats et un site internet remanié, mais peu de projets ont abouti. « Ce fut celui de multiples négociations qui n’aboutirent jamais », confie Ruaud.
À ces difficultés internes se sont ajoutés des facteurs extérieurs : une subvention non versée malgré des démarches longues et complexes, une cyberattaque paralysant le site internet, et un flot constant de retours des librairies en décembre, période pourtant cruciale pour l’édition.
L’effondrement progressif
L’été 2024 marque les premiers signes d’un effondrement irréversible. En septembre, faute de trésorerie, l’éditeur lance un appel à la solidarité, via PayPal et une campagne de financement participatif sur Ulule. L’objectif initial de 3.500 € est largement dépassé, atteignant 25.405 €. Ce succès laisse entrevoir une lueur d’espoir, mais les besoins réels, estimés entre 50.000 et 70.000 €, restent hors de portée.
Pour tenter de sauver l’entreprise, André-François Ruaud revend ses parts dans la librairie bordelaise du Basilic et renonce temporairement à son statut de salarié. Le recrutement de Maxime Gendron, prévu pour renforcer la stratégie marketing, est suspendu. Malgré ces efforts et un soutien significatif des lecteurs, Noël 2024 s’avère décevant, avec des ventes faibles et une fréquentation en berne.
Une conclusion symbolique
« Jusqu’à la dernière seconde, nous nous accrochions encore à quelques espoirs », avoue Ruaud. Mais sans ventes et sans marché, la maison d’édition ne pouvait survivre. Pour clore cette aventure, les archives des Moutons Électriques rejoindront la Maison d’Ailleurs, un musée suisse dédié aux cultures de l’imaginaire, témoignant de deux décennies de création et de passion.
Une page se tourne, mais l’héritage des Moutons Électriques restera vivant dans les mémoires des amateurs de littératures de l’imaginaire.
Les Moutons Électriques : succès, dettes et la fin d’une aventure indépendante
Comment une maison d’édition capable d’exploits, comme la vente de 11.000 exemplaires du tome 1 du Chevalier aux épines de Jean-Philippe Jaworski ou la levée de 116.687 € sur Ulule pour une édition de luxe, a-t-elle fini par fermer ses portes ?
Une dette lourde héritée de la pandémie
« Nous ne nous sommes jamais remis du Covid », confiait récemment André-François Ruaud à ActuaLitté. La crise sanitaire a été un tournant critique pour Les Moutons Électriques, entraînant un endettement important. Un Prêt Garanti par l’État (PGE) et un emprunt bancaire, contractés pour financer un projet de librairie en ligne, ont alourdi les finances de l’entreprise.
Un expert contacté par ActuaLitté souligne que la pandémie n’a fait qu’amplifier des fragilités préexistantes. Selon lui, la maison d’édition reposait sur un fonds insuffisant et une dépendance accrue au financement participatif : « Le luxe d’un éditeur, c’est de pouvoir ne pas publier un livre », observe-t-il, pointant la vulnérabilité d’un modèle trop dépendant des campagnes Ulule.
Une stratégie fondée sur le crowdfunding
Depuis 2015, Les Moutons Électriques ont lancé 20 campagnes Ulule, un système qu’André-François Ruaud considérait comme essentiel. « Ces campagnes sont comme des subventions. Sans elles, certains livres n’auraient jamais vu le jour », défendait-il. Si ce modèle a permis de financer des projets ambitieux, il a aussi révélé ses limites face à des enjeux structurels plus profonds.
Des problèmes de distribution récurrents
La maison a également souffert de relations difficiles avec ses distributeurs. En 2019, elle avait rejoint Média Diffusion aux côtés de Mnémos et ActuSF, après une expérience décevante avec un précédent partenaire. Mais dès 2021, des problèmes logistiques – retards de livraison, erreurs de facturation, représentation lacunaire auprès des libraires – ont aggravé la situation.
L’espoir d’un rachat avorté
En novembre 2023, une rencontre avec la n°3 de Hachette avait laissé entrevoir une reprise par le géant de l’édition. Cependant, aucun accord n’a été conclu. André-François Ruaud, épuisé par deux décennies d’efforts en tant qu’éditeur indépendant, admettait : « Cela fait vingt ans que c’est difficile, dix ans que c’est très difficile, et cinq ans que c’est un véritable cauchemar. »
Avec la fermeture des Moutons Électriques, l’avenir de leur auteur phare, Jean-Philippe Jaworski, reste incertain. Cette disparition marque la fin d’une aventure unique, illustrant les défis croissants pour les éditeurs indépendants dans un marché en mutation.