Depuis plusieurs jours, les salariés de l’entrepôt Gibert Joseph de Vitry-sur-Seine sont en grève pour protester contre un projet de réorganisation qui, selon eux, menace leurs conditions de travail et leur avenir professionnel. Au cœur du conflit : l’externalisation de la logistique du groupe, acteur historique de la librairie française. Une décision qui illustre les difficultés d’un secteur en mutation, tiraillé entre rentabilité et vocation culturelle.
Quand la logistique met la culture en tension
Le 22 avril, 44 des 45 logisticiens de Gibert Joseph à Vitry-sur-Seine ont entamé une grève très suivie. À l’origine de ce mouvement social : la décision du groupe de confier sa logistique à ID Logistics, dans le cadre de son plan stratégique 2024-2028. Ce choix entraîne la vente de l’entrepôt de Vitry et un futur transfert d’activité vers Le Plessis-Pâté (Essonne), un changement qui suscite de vives inquiétudes.
Pour les salariés, ce transfert est bien plus qu’un simple déménagement : il représente une rupture avec l’identité même de leur métier. « Nous avons été embauchés par une entreprise culturelle, pas pour travailler sur une plateforme à la manière d’Amazon », souligne la section CGT de Vitry. Le syndicat redoute une dégradation des conditions de travail et pointe l’absence de garanties pour ceux qui refuseraient ce changement de cap.
Malgré les assurances du groupe, qui parle de « transfert sans impact sur l’emploi » en s’appuyant sur le Code du travail (article L1224), les syndicats dénoncent un discours trompeur. « Quand les nouvelles conditions ne permettent plus de se maintenir dans l’emploi, ce n’est plus un vrai maintien », avance la CGT.
Une entreprise culturelle en pleine mutation
Cette décision d’externaliser la logistique s’inscrit dans un contexte économique difficile pour Gibert Joseph. En mars, le groupe — qui exploite 24 librairies en France — présentait un plan stratégique sur quatre ans, destiné à faire face à la baisse des ventes de livres. Ces dernières années, plusieurs fermetures ont marqué la vie du groupe : trois magasins ont disparu en 2020, et la mythique enseigne Gibert Jeune a été amputée de plusieurs adresses sur la place Saint-Michel à Paris. En 2024, c’est le magasin Quinze.bis qui a baissé le rideau, tandis que celui de Vaulx-en-Velin a été placé en liquidation judiciaire.
Dans ce contexte, la logistique devient une variable d’ajustement, mais à quel prix ? Selon Gibert, l’objectif est de « renforcer l’efficacité, réduire les coûts et mieux répondre aux besoins des clients », notamment pour rester compétitif face aux grandes plateformes de vente en ligne. Mais du côté des salariés, la fracture est nette : « On parle d’optimisation, mais nous, on parle de nos vies. »
