Après avoir ordonné le retrait de près de 400 livres abordant l’antiracisme, le genre ou la diversité, le Pentagone a récemment autorisé la remise en circulation de la majorité de ces ouvrages dans les bibliothèques militaires américaines. Ce revirement marque un épisode clé dans une série de décisions controversées autour des contenus dits « DEI » (diversité, équité, inclusion) dans les institutions fédérales.
Une directive issue de l’administration Trump
En avril 2025, une directive interne a conduit au retrait de 381 ouvrages des rayons de la bibliothèque de l’Académie navale d’Annapolis, dans le Maryland. Cette mesure faisait suite à une politique lancée sous l’administration Trump par le bureau du secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, visant à purger les institutions militaires de contenus jugés idéologiquement non conformes.
Les livres concernés touchaient à des thématiques sensibles : droits civiques, histoire du racisme, féminisme, identité de genre, ou encore mémoire de l’Holocauste. Parmi les titres visés figuraient des œuvres reconnues comme Je sais pourquoi l’oiseau en cage chante de Maya Angelou ou Pursuing Trayvon Martin, sur la mort tragique du jeune Afro-Américain en 2012.
Un tollé dans les milieux scientifiques et culturels
La décision a suscité de vives réactions, notamment de la part de l’American Historical Association et d’associations universitaires, qui ont dénoncé une forme de censure idéologique. Dans une déclaration commune, elles alertaient : « Supprimer des ouvrages basés sur des recherches rigoureuses ne fera pas disparaître les faits historiques. Cela affaiblira la capacité de l’armée à comprendre son passé et à préparer son avenir. »
Une réintégration partielle, mais toujours floue
Un mémo signé le 9 mai 2025 par Timothy Dill, sous-secrétaire adjoint à la Défense, a clarifié les critères de retrait, en listant une série de mots-clés comme « antiracisme », « transgenre », « privilège blanc » ou « théorie critique de la race ». À la suite de cet ajustement, une large majorité des livres ont été reclassés comme conformes et réintégrés aux bibliothèques militaires.
Cependant, environ 20 titres restent à l’étude, tandis que d’autres, initialement ignorés, pourraient être ajoutés à l’examen. Le processus est actuellement supervisé par un comité ad hoc chargé d’évaluer le sort de chaque ouvrage : maintien, archivage, ou suppression définitive.
Une politique plus large de révision idéologique
Ce nouvel épisode s’inscrit dans une stratégie plus vaste de redéfinition des contenus diffusés dans les institutions fédérales. Outre les bibliothèques militaires, des mesures similaires ont été observées dans des entités comme la NASA, qui a récemment supprimé des bandes dessinées promouvant la diversité – dont First Woman, mettant en scène la première femme non blanche sur la Lune.
Des directives de même nature ont également visé les militaires transgenres, les soldats non vaccinés contre la Covid-19, ou encore les financements liés aux arts via la National Endowment for the Arts (NEA). Ces politiques, souvent appliquées de manière hâtive et peu claire, ont donné lieu à des ajustements successifs au sein des administrations concernées.
Un retour en arrière contesté, un débat toujours ouvert
La réintégration partielle des ouvrages soulève autant de questions qu’elle n’en résout. Si certains saluent ce retour au dialogue et à la pluralité des savoirs, d’autres craignent que la politique de retrait puisse être relancée à tout moment, au gré des évolutions politiques.
Pour le monde littéraire, éducatif et universitaire, cet épisode illustre la fragilité de la liberté intellectuelle dans les institutions publiques, mais aussi l’importance cruciale d’un accès équitable aux œuvres et aux idées. Les bibliothèques, lieux de savoir et de débat, sont plus que jamais au cœur des enjeux idéologiques contemporains.