À l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, le 23 avril dernier, les ministres Rachida Dati (Culture) et Clara Chappaz (Intelligence artificielle et Numérique) ont annoncé le lancement d’un cycle de concertation réunissant développeurs d’intelligence artificielle générative et acteurs des filières culturelles. Toutefois, les contours précis de cette concertation restent encore flous.
Objectif affiché : réguler les rapports entre IA et création culturelle
Ce nouveau cycle, porté par le ministère de la Culture, s’inscrit dans la continuité du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle organisé à Paris en février 2025. Le gouvernement ambitionne de « prolonger la dynamique de dialogue » et « favoriser une compréhension commune des enjeux » liés à l’utilisation des données culturelles par l’IA.
Clara Chappaz souligne l’enjeu stratégique : assurer une valorisation des données culturelles françaises et européennes tout en respectant les droits d’auteur. De son côté, Rachida Dati insiste sur l’importance de préserver un équilibre entre innovation, souveraineté et droits culturels.
Pourtant, dans les faits, les ministres reconnaissent que l’utilisation de contenus protégés demeure problématique en raison d’un manque d’accords de licence suffisants entre ayants droit et développeurs d’IA. Ce point constituera d’ailleurs l’un des enjeux clés des discussions à venir.
Une réglementation encore insuffisante selon les professionnels
Si le règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act) est en vigueur depuis août 2024, il ne suffit pas à apaiser les inquiétudes des acteurs culturels. Maïa Bensimon, Secrétaire Générale du Conseil Permanent des Écrivains (CPE) et Vice-Présidente du European Writers’ Council, regrette notamment que l’AI Act demeure trop généraliste pour être pleinement applicable au secteur culturel.
Selon elle, la charte adoptée lors du sommet sur l’IA à Paris en février dernier, pourtant consensuelle, a été écartée par les décideurs politiques, provoquant une profonde déception chez les auteurs.
« Sans respect concret des règles fondamentales, la concertation perdra son sens », insiste-t-elle, rappelant que les créateurs attendent désormais davantage que des déclarations d’intention.
Mécanisme d’« opt-out » : une solution critiquée par les auteurs
Le gouvernement prévoit notamment d’améliorer les dispositifs d’« opt-out », permettant aux auteurs d’exclure leurs œuvres des bases de données utilisées par les IA. Mais selon Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels, ce mécanisme est insuffisant. Elle prône au contraire un retour à l’« opt-in », pour que les auteurs puissent donner un consentement explicite avant tout usage de leurs créations par les systèmes d’IA.
En juillet 2024, une vaste coalition de centaines de milliers de créateurs européens avait déjà alerté le Parlement européen sur la nécessité de dispositifs garantissant consentement explicite, transparence et juste rémunération face à l’exploitation des œuvres par l’IA.
Des auteurs encore exclus du débat ?
Les représentants des créateurs soulignent également l’importance d’une représentation équitable au sein des futures discussions. Stéphanie Le Cam rappelle que les auteurs du livre, particulièrement touchés par l’IA, restent souvent sous-représentés par rapport à d’autres secteurs mieux structurés comme la musique ou l’audiovisuel.
Elle s’inquiète d’une tendance à effacer progressivement le terme même d’« auteur » ou de « créateur », symbole selon elle d’une marginalisation croissante des créateurs dans les discours politiques et technologiques.
Une première réunion prévue au printemps 2025
Le ministère de la Culture promet que toutes les parties prenantes—plateformes technologiques, start-ups IA, sociétés d’auteurs, éditeurs, journalistes—seront bientôt réunies. Toutefois, aucun participant précis n’a été officiellement confirmé pour l’heure.
« Nous avons des choses à dire, des positions construites – mais encore faut-il nous inviter à la table », martèle Stéphanie Le Cam.
Des attentes claires : rémunération et transparence
Pour le Conseil Permanent des Écrivains (CPE) et le Syndicat National des Auteurs et Compositeurs (SNAC), la priorité reste l’application concrète des règles existantes, notamment le principe ART (Autorisation, Rémunération, Transparence).
Maïa Bensimon conclut : « L’intelligence artificielle sera encore là demain, mais nous devons agir maintenant pour que ses usages respectent les auteurs et leurs droits ». La ministre Rachida Dati, quant à elle, voit dans cette concertation un pas décisif vers une IA respectueuse des valeurs culturelles et républicaines.
Deux personnalités ont été chargées d’encadrer les travaux : Marc Bourreau, professeur à Télécom-Paris, et Maxime Boutron, maître des requêtes au Conseil d’État, afin d’assurer la rigueur intellectuelle et juridique de ce dialogue complexe.