Depuis la parution de son dernier roman Houris (Gallimard), récompensé par le Prix Goncourt 2024, l’écrivain Kamel Daoud fait face à une tempête judiciaire et médiatique. En cause : une plainte déposée en France par Saâda Arbane, une femme algérienne l’accusant de s’être approprié son histoire personnelle sans son consentement.
Prochaine audience : le 10 septembre 2025, après une première audience de procédure tenue le 7 mai.
Une bataille judiciaire autour de la fiction et de la vie privée
Selon les informations de l’AFP, Kamel Daoud et son éditeur devront transmettre leurs conclusions une semaine avant cette nouvelle date. Saâda Arbane, rescapée d’une attaque terroriste durant la guerre civile algérienne, lui reproche d’avoir utilisé des éléments intimes de sa vie pour créer le personnage d’Aube, héroïne centrale du roman.
Elle réclame 200.000 euros de dommages et intérêts, ainsi qu’une publicité de la condamnation éventuelle, au nom du respect de la vie privée et de la reconnaissance de son traumatisme.
Des accusations graves, une défense tranchée
Kamel Daoud dément formellement, évoquant une instrumentalisation politique orchestrée par le pouvoir algérien, qu’il accuse de vouloir le faire taire. Face à cela, Saâda Arbane rétorque :
« Dire que je suis instrumentalisée, c’est une tentative lâche de décrédibiliser ma parole. Je ne cherche pas à censurer un écrivain, je veux que justice soit faite. »
Le conflit dépasse désormais les frontières : en Algérie, deux mandats d’arrêt internationaux ont été émis contre l’auteur, qui compte les contester. À Oran, deux plaintes ont également été déposées pour violation du secret médical, atteinte à la vie privée et diffamation de victimes du terrorisme.
Houris, roman interdit en Algérie
Le livre, qui évoque la guerre civile des années 1990-2000, est interdit en Algérie, en vertu d’une législation très stricte sur les publications traitant de cette période. Lors de la Comédie du Livre de Montpellier, le 9 mai, Daoud a déclaré :
« Certains ont tué et ils sont libres. Moi, j’ai juste écrit un roman. »
Qui est Saâda Arbane, la plaignante ?
Saâda Arbane avait six ans lors de l’attentat dont elle fut victime. Elle en garde encore des séquelles physiques, dont une atteinte aux cordes vocales. Elle affirme que le roman reprend des éléments très précis de sa vie : une cicatrice, un dispositif médical (canule), un salon de coiffure, un établissement scolaire, et le déroulé de son suivi psychologique.
Elle accuse l’épouse de Kamel Daoud, Aïcha Dehdouh, psychiatre qui l’aurait suivie, d’avoir transmis ces informations confidentielles.
Un roman inspiré d’un vécu ? Des éléments troublants
Kamel Daoud nie tout lien direct avec Saâda Arbane. À France Inter, il affirmait en décembre :
« Tout le monde connaît cette histoire à Oran. C’est public. »
Cependant, une enquête de Mediapart, parue en février, souligne plusieurs incohérences dans cette version. Notamment :
- Le manuscrit s’intitulait à l’origine Joie, traduction possible de Saâda en arabe.
- Une dédicace y figurait : « À une femme extraordinaire, la véritable héroïne de cette histoire. »
- En 2021, l’épouse de Daoud aurait contacté Saâda Arbane pour lui annoncer que son mari voulait écrire « un livre sur elle » – ce qu’elle aurait explicitement refusé.
À suivre : un procès sous tension, entre droit à la fiction et droit à l’intimité
L’affaire soulève des questions majeures sur les limites de la fiction littéraire, le respect du vécu personnel, et la frontière entre inspiration et appropriation. Le rendez-vous est fixé au 10 septembre 2025, devant le tribunal français.